1981. L’année n’est pas riche en événements jusqu’à ce qu’au cœur de l’Afrique Centrale un « Tam-tam » à l’accent bantu se fasse entendre. Africa N’1 est né. C’est au Gabon. Un petit émirat qui fait l’objet de tant de convoitises. La célèbre radio panafricaine est, sans aucun doute, celle qui va donner à l’Afrique son indépendance. Enfin, les africains vont se parler à eux-mêmes, dans leur langage et évoquer des questions qui fondent leur existence.
Le Gabon a innové au cours des années 1970. EN quelques années, le petit pays d’un peu moins d’un million d’habitants dirigé par un président qui a opté pour le Parti Unique, est devenu une référence. Cette décennie est marquée par le lancement d’une compagnie nationale d’aviation civile, Air Gabon, qui devient l’une des toutes premières de l’Afrique Noire. Puis il y a Mbolo, le plus grand hypermarché au sud du Sahara. L’OPT avec son célèbre CENACOM devient l’un des piliers des télécoms en Afrique. En 1977, l’OUA tient ses assises à Libreville donnant lieu à une transformation de la capitale. Puis il y a le grand port d’Owendo et les jeux de l’UDEAC. Le Gabon devient « Digne d’envie ». Le gouvernement du parti unique continue les paris. Ceux qui semblent fou, comme le Transgabonais, et ceux qui semblent capitaux comme le premier hôpital spécialisé pour les enfants, la Pédiatrie. Mais il manque au Gabon et à l’Afrique une voix. L’engagement qu’Omar Bongo fait prend devant un constat aussi amer est certainement le plus important de sa vie de chef d’Etat. Il va faire une grande Radio. Ce sera Africa N’1.
Le Gabon ne cache pas sa bonne santé financière. Malgré les habitudes de détournements flagrants qui s’installent, le régime du parti unique entreprend et montre bien à l’Afrique que le pays tire profit de son pétrole mais aussi de l’uranium et du manganèse dont il est un des principaux producteurs sur le continent et à travers le monde. Il veut donc oser. Et il veut même relever les défis qui semblent impossibles techniquement ou financièrement pour les Africains.
Le choix de faire Africa N°1 est stratégique. L’Afrique doit subir un traitement de l’actualité du point de vue occidental. Il faut que cela change. C’est sur cette réflexion qu’Omar Bongo va charger dès 1975 son ministre de l’information de penser à la création d’une radio capable de relever les défis de l’heure. Le ministre s’appelle Zacharie Myboto. Il a 37 ans. L’homme est un instituteur investit dans la politique depuis le temps de la dictature de Léon Mba. Il est connu pour sa rigueur d’instituteur qu’il traîne dans toutes les administrations qu’il traverse. C’est lui qui mobilise pendant près de six ans les experts et les techniciens pour concevoir la future radio. Ils ont ensemble un défi à relever : doter le Gabon d’un centre international émetteur ondes courtes, d’une puissance suffisante pour couvrir à peu près n’importe quelle région de la planète.
Le projet est lancé et le site de Moyabi, un village situé dans les hauteurs de la région de Franceville-Moanda, est choisi. Ce site, selon les autorités et les techniciens rempli certains critères donc l’altitude et la composition du sol. Pendant trois ans, le site est aménagé. C’est Thomson qui équipe techniquement Moyabi. Le coût est important : 13 milliards de CFA. Une fortune qu’Omar Bongo, décidemment panafricaniste et surtout en quête d’une forme de notoriété sur le continent, ne craint pas de sortir. Thomson livre « quatre émetteurs de 500 KW reliés à un champ d’antennes en étoile de 24 pylônes » qui sont installés sur 60 hectares et alimentés par un nouveau barrage à Poubara. Ces antennes permettent d’émettre en direction de l’Europe, l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Ouest, l’Océan indien, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud.
Quand les premiers essais sont effectués en 1978, les africains établis dans tous les coins du monde reçoivent la voix qui part de leur continent. Désormais, le rêve d’être informés sur l’Afrique par les Africains sur une radio africaine devient réalité. Après la BBC et la Voix de l’Amérique, Africa N°1 peut se positionner dans le monde comme la 3ème radio la plus internationale.
L’exploit technique marque les esprits. Mais Moyabi n’est qu’un centre émetteur. Il faut bien la radio elle-même. Il faut donner une image, un nom et une notoriété à cette radio. C’est dans le cadre de ka coopération entre la France et le Gabon que la future radio qui va exploiter le centre de Moyabi est créée. D’une part, il y a Omar Bongo et son ministre de l’information, Zacharie Myboto et de l’autre Giscard d’Estaing et Robert Galley, le ministre français de la coopération. Les échanges et les études effectués permettent de concevoir une radio généraliste, en langue française, d’abord destinée à l’Afrique francophone. La France aussi investit son argent. Elle détient 40% du capital d’Africa N°1. Non pas du centre émetteur qui est entièrement gabonais mais de la radio qui va voir le jour.
Le siège de Libreville est alors construit. A partir de 1979, les choses s’accélèrent. Des Gabonais sont formés au Gabon et en France pour prendre eux-mêmes les directions technique et artistique de la radio. Les recrutements se font. Il faut de nouvelles voix. Il faut aussi des voix connues. Les programmes sont conçus. Et le 7 février, au petit matin, Africa N°1 lance enfin ses émissions.
« Bonjour le Soleil ! Vous écoutez Africa N°1, en direct de Libreville au Gabon ; dans trente minutes les premières informations de la journée ». Cette voix est celle de Denise Boukandou. Ce sont les premiers mots sur la radio panafricaine. La légende est née. Et au moment où le fonctionnaire gabonais qui s’apprête à sortir de chez lui pour rejoindre son administration l’entend, l’étudiant burkinabé de Ouagadougou la perçoit. Et comme lui, l’éleveur togolais de Lomé, le musicien congolais de Kinshasa, le soldat tchadien de Ndjaména, le commerçant camerounais de Yaoundé. Tous les Africains savent désormais que grâce au Gabon, ils peuvent se parler.
LE succès est immédiat. Et RFI en profite puisque Africa N°1 la relaie quatre heures par jour sur le continent en 1981. EN 1984, ce sera onze heures. La célèbre et puissante radio japonaise NHK aussi loue six heures par jour les antennes de Moyabi.
Sur le continent, Africa N°1 connait un succès fulgurant. Des sondages réalisés montrent que les Africains n’écoutent désormais que la radio gabonaise. Mieux, cette radio a plus de retentissement en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Rapidement, des correspondants sont trouvés à Dakar, Abidjan, Lomé, Niamey, Ouagadougou, Kinshasa, Brazzaville, Yaoundé, Ndjaména et ailleurs.
Les rendez-vous importants rapprochent les Africains. La coupe du Monde 1982 en Italie est vécue avec passion. Puis il y a 1986 et 1990. C’est sur les ondes d’Africa N°1 que les Africains suivent les commentaires des journalistes africains. Sur ces mêmes ondes, les chanteurs africains se font entendre et aimer. Akendengué, Ismaël Lô, Franco, Aïcha Koné, Manu Dibango, Mpongo Love et tous les autres.
C’est surtout sur Africa N°1 que les africains vont vivre les heures les plus sombres et les plus glorieuses de l’histoire de l’Afrique : l’assassinat de Thomas Sankara, la chute de Moussa Traoré, la mort d’Houphouët Boigny, le départ de Senghor, la libération de Mandéla, l’indépendance de la Namibie, etc.
Africa N°1 c’est aussi des hommes et des femmes : Dénise Boukandou, Omer Léonce Rembendambiat, Fanny Ella Assa, Vicky Fournier, Ronny Mba Minko, Patrick Nguéma Ndong, Eugénie Diecky, Robert Brazza, Alain Saint-Pierre et bien d’autres encore. A eux, on a souvent associé les émissions telles que « le Journal des Auditeurs », « Les aventures mystérieuses », « Kilimandjaro », etc.
Mais comment oublier que sur cette radio, des familles entières se sont cherchées, retrouvées et reconstituées à partir de courriers? Comment oublier des amis ont repris contact et que des couples se sont réformés grâce à de simples courriers lus avec passion sur Africa N°1? « Aliou vit à Dakar. Il recherche son père, un enseignant béninois qui a exercé dans la capitale sénégalaise entre 1970 et 1972 et qui se trouverait désormais à Ndjaména » ou encore « Michel recherche son ancien condisciple Eloi. Ils ont été au collège public de Bitam en 1982. Il se trouverait actuellement à Brazzaville. Prière de le contacter à la BP suivante… ». Que ce fut chaleureux. Africa N°1, la tam-tam de l’Afrique.
« Africa N°1, Boîte Postale 1, Libreville Gabon ». Cette adresse appartient à l’histoire du Gabon. Pourtant, ce patrimoine qui a rendu si fier les Gabonais à travers le monde est en péril. Vendu aux libyens sous Khaddafi, le petit joyau est aujourd’hui dans une situation financière difficile. Le Centre de Moyabi tombe en ruine, faute d’entretien. Les journalistes sont difficilement payés. Le matériel utilisé au quotidien est défectueux. La radio panafricaine qui avait donné à l’Afrique une voix s’éteint un peu plus chaque jour. C’est par la volonté politique qu’elle a vu le jour. C’est aussi par la volonté politique qu’elle peut retrouver sa place parmi les grandes radios internationales.
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